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Publié le par Alain LAMESSI

POUR LA RECONQUETE DE LA DIGNITE

DU PEUPLE CENTRAFRICAIN

Par Alain LAMESSI

Deuxième terme de la devise de la République centrafricaine, la dignité est inscrite sur tous les documents officiels et au fronton de tous les bâtiments administratifs. Elle est déclamée dans toutes les langues et tous les dialectes. Elle est chantée sur tous les tons. Elle est apprise par cœur et récitée à tue-tête par tous les enfants, tous les adolescents et même tous les adultes dans les écoles, les collèges et les lycées. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, la dignité est le terme le plus dévoyé, le plus méprisé, le plus foulé aux pieds. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment en est-on arrivé là ? Avant de répondre à ces questions qui interrogent notre humanité, posons au moins une évidence : beaucoup de nos compatriotes y compris les plus hautes autorités de l’État n’ont jamais rien compris à la notion de la dignité humaine non pas par incivisme, mais par pure inculture.

  1. De la dignité humaine

La dignité de l’homme n’est pas une valeur. Elle n’est pas non plus un idéal. Elle est un principe, une règle et une doctrine qui s’imposent à tous. Des religieux tout comme les philosophes ainsi que les juristes en ont fait un sujet de préoccupation. La Bible, parole de Dieu, en parle. En effet, dans son épitre à Philémon (Philm. 1 :15-18) l’Apôtre Paul recommande à son bien-aimé, compagnon d’œuvre, de traiter l’esclave Onésime avec beaucoup de déférences et d’égards, de le considérer non pas comme esclave, mais comme frère, de le recevoir dans les mêmes conditions que lui, Paul aurait été reçu. En un mot, tout en gardant son statut d’esclave, Onésime doit être traité avec dignité.

Tout le monde s’accorde sur un point : à cause de son humanité, l’être humain a droit au respect de sa dignité. En effet, créé à l’image de Dieu, l’homme a une position de supériorité par rapport aux autres créatures. Cela lui confère de la dignité qui est inaliénable donc non négociable. Le principe est simple : parce que l’homme est créé à l’image de Dieu, je dois respecter sa dignité, peu importe son sexe, son âge, son rang social, son ethnie, sa religion, sa langue, la couleur de sa peau, etc. C’est dire que toute personne humaine a droit au respect de sa dignité. Et ce respect est une obligation, un devoir. Ce respect est inconditionnel. Bien sûr, il faut dire que le respect de la dignité humaine n’est pas donné à la naissance. Il n’est pas naturel, mais il est culturel. C’est pourquoi nous devons l’inscrire en bonne place dans les programmes de formation et l’inculquer à nos enfants.

  1. L’histoire de la République centrafricaine est une succession de la négation de la dignité humaine

Chaque fois que l’histoire de la République centrafricaine a bégayé, c’est la dignité du peuple centrafricain qui est piétinée dans la boue. Or l’histoire de la République centrafricaine est une vague succession de tragédies et de comédies qui ont toutes une caractéristique commune : la négation de la dignité du Centrafricain.

La colonisation fut un drame absolu. Traite négrière, esclavage, travaux forcés, portages, humiliations, coups et brimades, etc. Tel est sort peu réservé à nos grands-parents et parents plus souvent considérés au mieux comme des sous-hommes, au pire comme des animaux.

L’indépendance formelle accueillie avec beaucoup d’enthousiasme voulait prétendument mettre fin à cette situation de fait par la conquête de la dignité dans l’unité et par le travail. Elle aurait pu sonner le glas d’une période sensément révolue. Au lieu de quoi, très vite le rêve s’est transformé en cauchemar qui n’a plus jamais pris fin plus d’un demi-siècle plus tard. Le sort du Centrafricain ne s’est plus jamais amélioré. Bien au contraire, le Centrafricain est acculé par le Centrafricain à n’être jamais qu’un vulgaire objet, qu’une quelconque entité négligeable. Le Centrafricain s’est substitué au colon. Complexé, hargneux et passablement brouillon, il est devenu le nouveau colon des tropiques. Cela l’a rendu plus inhumain et plus brutal. Le Centrafricain est devenu un véritable loup pour le Centrafricain déniant toute dignité à son propre compatriote dans le seul dessein d’assouvir une vengeance . Assassinats, arrestations, séquestrations, détentions arbitraires et tortures, destructions et incendies des maisons d’habitation et des bâtiments administratifs, enlèvements, exécutions sommaires, incitations à la haine, etc. se sont multipliés au grand désarroi du peuple qui ne sait plus faire la différence entre le colon d’hier et le Centrafricain qui a pris la relève. Par la faute du Centrafricain, le Centrafricain a perdu toute dignité. De tout temps, son humanité est niée et parfois mise à rudes épreuves. Aujourd’hui, le Centrafricain est devenu un homme sans dignité ni considération dont la valeur réelle est à peine plus élevée que le prix de quelques sauterelles en bouteilles vendues par les enfants au bord de la route.

Des constitutions se succèdent aux constitutions au rythme aléatoire des changements brutaux des régimes. Toutes prétendent, dans de belles déclarations de principes, être respectueuses de la dignité humaine, allant parfois jusqu’à recopier purement et simplement dans le préambule, de longs extraits du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’escroquerie a encore de beaux jours devant elle, car à peine adoptée la nouvelle constitution ne sera plus qu’un vulgaire chiffon de papier bon pour la poubelle que plus personne ne lira et dont personne ne se souciera de son application.

Des régimes aussi farfelus qu’inopportuns ont été conçus et érigés en dépit de tout bon sens dans le seul but de circonvenir tantôt les caprices d’un dictateur mégalomaniaque, tantôt les désirs subliminaux des anciens colons. La mystification a été poussée à l’extrême au point de prétendre défendre la dignité du peuple centrafricain en coupant les oreilles, les mains ou les bras de petits délinquants, les livrant ainsi en spectacle digne des cirques devant un public médusé. En vérité, tout cela n’est que l’expression authentique du profond mépris de la dignité du Centrafricain dont, l’avis n’a jamais été sollicité encore moins pris en considération.

Pour se donner bonne conscience, ils ont construit des avenues, des lycées et érigé des monuments pompeusement baptisés avenues des martyrs, lycées des martyrs ou monuments des martyrs. Mais de quels martyrs s’agit-il ? Sont-ce tous ces jeunes innocents tombés sous les balles assassines des chiens enragés qu’ils ont eux-mêmes dressés et envoyés pour disperser des manifestations pacifiques demandant simplement plus de liberté et de dignité pour le peuple ? Sont-ce toutes ces victimes innocentes tombées sous les balles des mercenaires étrangers qu’ils ont recrutés, nourris, vêtus et armés avec l’argent du peuple ? Et tous ces milliers de morts à jamais disparus dans l’anonymat absolu sans reconnaissances ni sépultures ne sont-ils pas aussi des martyrs ? À martyr, martyr et demi.

La dignité du peuple centrafricain est bafouée par le Centrafricain lui-même avec une rare énergie. Ces dernières années, nous avons assisté à cette espèce de compétition macabre pour savoir qui est le plus négateur de la dignité humaine en République centrafricaine. Les « banyamuléngué » sont venus, après les Kodos, en territoire conquis. Ils ont égorgé, assassiné, violé, pillé les Centrafricains en toute impunité, mais hélas avec la complicité du Centrafricain. Ensuite, les libérateurs et les Zakawas, avec plus d’agressivité et plus de zèle pour le mal sont encore allés plus loin dans la violation des droits humains avant de transmettre le relai ensanglanté aux « séléka » et aux « anti-blaka » désormais identifiés comme des champions du monde toute catégorie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Pour tout dire, le processus de zombification du peuple centrafricain qui a commencé depuis belle lurette ne s’est plus jamais arrêté. Il s’est même accéléré ces derniers temps avec l’arrivée des hordes de l’enfer que sont les « séléka » et les « anti-balaka ». Cela s’est traduit par des violations massives et généralisées des droits de l’homme, la multiplication des exécutions extrajudiciaires, des séquestrations, détentions arbitraires et tortures, violences sexuelles, mutilations, mauvais traitements, viols, etc. Jamais un peuple n’a autant été humilié que le peuple centrafricain. Jamais la dignité humaine n’a été autant bafouée nulle part ailleurs qu’en République centrafricaine. Le pire c’est que cela ne semble plus émouvoir personne. Qui ne se souvient pas de cette jeune mère à peine âgée de 17 ans, battue à mort par une foule hystérique parce qu’ayant volé à l’étalage un morceau de pain pour nourrir un enfant qui n’avait plus rien mangé depuis deux jours ? Qui ne se souvient pas de cette vieille grand-mère enterrée vivante par un groupe de jeunes survoltés, comme saisis par une folie collective, parce que juste soupçonnée de sorcellerie ? Qui ne se souvient pas de ce jeune-homme de 25 ans à qui on a fait boire une mixture à base d’eau et du ciment pour décéder aussitôt sous l’applaudissement des spectateurs hilares parce qu’il aurait chapardé un morceau de savon dans un motel ? La vie humaine n’est plus sacrée en République centrafricaine depuis que la tradition de nos ancêtres a perdu toute sa valeur.

La réalité a toujours dépassé la fiction. La vie humaine ne vaut plus rien dans ce pays où tout le monde se moque de la souffrance de tout le monde, où les larmes des uns procurent un immense plaisir aux autres, où chacun s’évertue avec beaucoup de zèle à piétiner la dignité de l’autre.

  1. Sortir du cercle vicieux de l’indignité nationale

La longue marche de peuple oubanguien pour la quête de la dignité continue hélas encore aujourd’hui sans jamais déboucher sur un quelconque progrès. Bien au contraire, chaque étape qui aurait pu le conduire vers plus de liberté et de dignité le propulse irrémédiablement en arrière. Ainsi l’inexorable descente aux enfers du peuple centrafricain qui a commencé avec les premiers rayons du soleil de l’indépendance se poursuit hélas encore aujourd’hui. Elle est accompagnée de façon systématique par le non-respect de la dignité du Centrafricain. En foulant ainsi allègrement aux pieds la dignité de l’homme créé à l’image de Dieu, notre pays a perdu son âme. Il a perdu son esprit. Il a perdu sa mémoire.

Le seul combat, l’unique, le vrai qui doit mobiliser nos énergies et nos intelligences est celui de la reconquête de la dignité du peuple centrafricain par le respect scrupuleux des droits de l’homme. Il est plus que temps de revenir à l’essentiel, c’est-à-dire de redonner à l’homme toute sa valeur et au Centrafricain toute sa dignité. L’avènement d’une Centrafrique nouveau est à ce prix. Le moment est venu de replacer la question de la dignité du Centrafricain au centre de toutes les préoccupations.

Le combat pour l’avènement d’une Centrafrique nouveau passe avant tout par la reconquête de la dignité du peuple centrafricain. Le moment est donc venu de mettre un terme définitif à cette spirale infernale où le Centrafricain est devenu le loup du Centrafricain, où la dignité du Centrafricain est systématiquement foulée aux pieds par le Centrafricain au nom d’une illusoire conquête du pouvoir ou d’une hypothétique conservation de celui-ci. Reconquérir la dignité du Centrafricain, c’est accepter que le Centrafricain cesse d’être l’objet de toute manipulation, de tout trafic, de toute humiliation. Reconquérir la dignité du Centrafricain, c’est créer les conditions pour qu’il soit sujet et non objet, maître de son avenir et non esclave de son passé, acteur de son destin et non-spectateur passif de son présent.

Si le développement de la République centrafricaine est un objectif noble, ce développement doit d’abord et avant tout être un développement humain, car que veut dire développement si ce n’est donner plus de dignité à l’homme par la nourriture, l’éducation, la santé, le logement, le travail, le transport, la sécurité, etc. ?

La reconquête de la dignité du Centrafricain est un impératif catégorique qui englobe toutes les actions. Elle doit nous mobiliser à chaque instant et à tout moment. Il est dommage que les organisations de la défense des droits de l’homme aient perdu de la voix au moment où on en a plus besoin.

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