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LA VERITE SORT DE LA BOUCHE DES ENFANTS

Publié le par Alain LAMESSI

 

 

J’étais concentré sur le manuscrit d’un ouvrage spécialisé sur la déficience mentale en République centrafricaine. Je veux qu’il soit publié au courant cette année. Mes deux petites-filles jouaient sur le canapé. L’une d’elle s’approcha de moi et me gratifia d’un gros bisou sur la joue gauche.

  • Papy, je t’aime trop me dit-elle avec un éclair de séductrice dans les yeux et un grand sourire sur les lèvres.
  • Moi aussi, je t’aime trop ma chérie. Tu es très belle. Lui répondis-je.
  • Papy, qu’est-ce que tu fais depuis ce matin ?
  • Je suis en train d’écrire un livre, ma chérie.
  • Papy, si je te pose une question, tu ne vas pas te fâcher hein ?
  • Non, ma belle. Je ne vais pas me fâcher. C’est promis.

La précaution verbale prise, elle me posa à brûle-pourpoint la question qui la taraude :

  • Mais papy, pourquoi tu n’aides jamais mamy ?
  • Comment, je n’aide jamais mamy ?
  • Mais non, papy ! Tu ne l’aides jamais.
  • C’est mamy qui te l’a dit ? Lui retournai-je la question.
  • Non, pas du tout. Ce n’est pas mamy qui me l’a dit. C’est ce que j’ai vu. Depuis ce matin mamy nous a préparé le petit-déjeuner, ensuite elle nous a lavées. C’est elle qui a passé l’aspirateur et maintenant c’est encore elle qui prépare à manger. Et papy, toujours tablette, tablette, tablette et téléphone, téléphone, téléphone.

Le reproche est on ne peut plus direct et je le reçois en pleine figure. J’encaisse le coup.

  • Je l’aide souvent ma chérie mais tu ne le sais pas, tentai-je de me défendre. C’est moi qui mets mes habits à la machine et les repasse.
  • Tu ne mets que tes habits à la machine mais tu ne mets jamais les habits de mamy à la machine. Tu sais papy, si mamy travaille beaucoup, à la fin elle va être fatiguée. Et quand mamy est fatiguée, elle s’énerve beaucoup.

 

Quel aplomb pour une gamine d’à peine six ans et demi ! Quel culot et quel bagout ! Il reste que ses observations sont très pertinentes. Cette petite fille observe tout, voit tout et entend tout. Elle s’exprime en toute liberté et franchise. Elle m’assène des vérités crues avec une candeur d’autant plus déconcertante que ni sa propre mère ni aucun de mes enfants n’aurait jamais eu le courage de me dire.

 

  • Viens ma chérie, je te fais un gros câlin. Lui dis-je en la serrant dans mes bras. Je te remercie pour tout ce que tu viens de me dire. Je te promets qu’à partir de maintenant je vais aider ta mamy le plus souvent possible. Tu sais nous sommes façonnés par le milieu dans lequel nous avons grandi et vécu. Je viens d’un milieu où ce sont encore hélas les femmes qui font la cuisine, la lessive et la vaisselle. Comme beaucoup de mes compatriotes, je suis éduqué comme ça. Il faut que je fasse des efforts pour me déshabituer.

 

Un autre aspect du pays d’où je viens et où ta mère est née et a grandi, c’est que lorsqu’on a un niveau social un peu élevé, il y a toujours quelqu’un qui te nettoie les chaussures. Il y a toujours quelqu’un qui te fait la lessive et la vaisselle. II y a toujours quelqu’un qui te fait le ménage et la cuisine. Il y a toujours quelqu’un qui t’apporte à boire et à manger. Il y a toujours quelqu’un qui t’appelle excellence, patron, chef, boss, vieux, papa. Il y a toujours quelqu’un qui t’ouvre la portière de la voiture. Il y a toujours quelqu’un qui te conduit. Il y a toujours quelqu’un qui te prend ton sac. Il y a toujours quelqu’un qui t’ouvre le bureau, etc. Et lorsqu’on vient en France où il n’y a plus personne pour t’aider, tu es quelque peu perdu comme un poisson hors de l’eau. Pour survivre, il faut te réadapter au nouveau contexte et surtout redevenir autonome car chez nous beaucoup sont demeurés hétéronomes.

  • Mais papy, donc à Bangui tu es Président ? L’autre jour je t’ai vu à la télé. Donc mon papy est Président ?
  • Non ma belle, je ne suis ni Président ni Ministre.
  • Mais alors pourquoi tu ne fais rien et on te fait tout ? Me demanda-t-elle en toute naïveté.
  • Mais si, mais si je travaille. Je mange, je bois, je me lave, je dors, etc.  Je travaille au bureau comme conseiller d’un Président. En plus j’enseigne à l’Université. J’écris des livres et des articles. Et si les autres travaillent à ma place, ils ne le font pas gratuitement. Je leur donne de l’argent en échange. Si tu veux, je paie leur travail.
  • Donc papy tu es riche. Tu as beaucoup d’argent pour payer tout ce monde-là. Tu dois aussi payer les gens pour travailler à la place de Mamy ainsi elle pourra moins se fatiguer et plus se reposer.

 

La jeune demoiselle me tira par la main et me conduisit à la cuisine pour aider sa mamy. Mais elle avait déjà tout fini.

 

De cette conversation à la fois simple et profonde avec ce bout de choux, je tire deux ou trois leçons :

 

  1. Cette petite-fille est très éveillée. Elle est altruiste, généreuse et empathique. Elle a la velléité de défendre le droit de la femme et plus singulièrement le droit de sa mamy. Elle défend volontiers les autres.
  2. La liberté, la démocratie et la défense des droits de l’homme commencent très tôt d’abord dans le foyer puis à l’école. Il ne faut pas étouffer les potentialités des enfants. Il ne faut surtout pas les terroriser ni les bâillonner, encore moins les violenter.
  3. Les enfants observent tout. Soyons pour eux des modèles et non des contre-exemples.

 

Aux dernières nouvelles, quand j’ai demandé au téléphone comment allait ma petite-fille, sa mère m’a répondu qu’elle avait beaucoup pleuré l’autre jour parce qu’elle n’était pas élue comme déléguée des élèves. Ses collègues lui ont préféré un garçon du cours élémentaire. Qu’à cela ne tienne. Au moins elle dira un jour qu’elle a été battue à sa première élection en classe de CP. Les défaites d’aujourd’hui préparent les victoires de demain.

 

Que Dieu bénisse tous nos petits-enfants !

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